RETOUR À L'ENVOYEUR...

Publié le par Laurence

Par une belle soirée d’automne

Alors que le soleil couchant embrasait la ville d’éclats mordorés…
Moi, le RAT
Le Rat cul-de-jatte
Très culotté
Je me suis introduis dans la culée d’Alexandre III

J’ai bien dit LA culée

Je le répète clairement pour qu’une oreille distraite n’aille pas, inopinément, rajouter quelque malicieux préfixe à ce nom féminin qui ne désigne innocemment qu’un « massif de maçonnerie destiné à contenir la poussée d’une arche ».
Un détournement de sens risquerait de nous conduire rapidement dans un cul-de-sac indésirable.

Donc, je reprends :

Moi, le RAT
Le Rat cul-de-jatte
Afin d’éviter toute question superflue, je dois préciser que j’ai perdu mes pattes postérieures, cisaillées par un cul de bouteille ébréché, il y a quelques mois de cela. . Cul-de-jatte, donc, je suis venu trouver refuge dans la culée

Je dis bien LA culée.

Échappant de justesse à un bombardement de boîtes de Coca lancées du haut du pont, par quelques gamins désœuvrés, je me suis faufilé jusqu’à ce lieu magique à l’abri des agressions de la civilisation.
Et depuis, assis sur mon fondement raboté par le bitume, moi, le RAT cul-de-jatte, je médite sur mon improbable avenir, en regardant couler la Seine.
Vous ai-je dit que je m’appelle « Cullage » -Oui, c’est mon nom- ou plutôt mon sobriquet, du temps où j’ étais le Seigneur des rats du quartier , du temps où j’avais droit de cuissage sur toutes les rates de mon fief. Le bon temps !  Aujourd’hui, je ne suis plus que « Cullage » le Rat cul-de-jatte, assis sur son fondement dans la culée, et qui médite.

     - C-U –L « cul », ces trois lettres ont marqué ma vie. De la culbute première qui féconda ma génitrice jusqu’au cul de basse-fosse où je pourrais maintenant basculer, cette culée n’est qu’une étape. Mais à coup sûr, c’est un signe du destin, me disais-je en admirant l’arche unique qui enjambe le fleuve. 

La perspective des Invalides est alléchante pour un cul-de-jatte, mais irréaliste pour un rat famélique, même domicilié sous le plus beau pont de Paris. Je vais  devoir renoncer à mon rêve de finir mes jours dans l’hôtel de luxe sous le dôme doré et me résoudre à m’éxiler hors les murs pour assurer le quotidien de ma retraite.
Point de salut pour un vieux Rat, cul-de-jatte de surcroît, le long des berges de la Seine. Trop de monoxyde de carbone, d’oxyde d’azote, d’acide chlorydrique, de plomb, de méthane, de particules en suspension.
Irrespirable !
Plus moyen non plus de faire son marché. Dans ma jeunesse, on pouvait facilement dégoter entre deux kils de rouge vides, des restes de rosette de Lyon, du gras de jambon d’Auvergne ou un quignon de baguette bien fraîche. Maintenant on ne trouve plus que des sacs en plastique, des boîtes en polystyrène de Mac Do ou des bouteilles d’eau froissées.

Quand j’étais petit, mon grand-père me  racontait les gueuletons qu’il faisait aux Halles, jadis, quand on appelait le quartier « le ventre de Paris ». On s’y rendait en bande pour festoyer sous les pavillons de Baltard -rayon boucherie- ça sentait délicieusement bon le crottin, la pisse et la charogne, pas le monoxyde de carbone.
Excusez l’émotion !  Non, rassurez-vous, je ne vais pas pleurer, je sais que la nostalgie est nocive et inutile. Il faut vivre avec son siècle et aller de l’avant. Ma décision est prise.  Puisque les vieux rats miséreux ne sont plus les bienvenus dans la capitale, je m’exilerai en banlieue. Rungis, peut-être.

Adieu la culée d’Alexandre III

J’ai bien dit LA culée

Je vais me laisser glisser vers l’extérieur en essayant de ménager mon cul endolori.
Aïe !Aïe !Aïe !. Ça y est. Je suis sur le quai. Je jette un dernier coup d’œil sur le fleuve, sur l’arche majestueuse, sur les trente deux candélabres illuminés et plus loin sur le dôme qui brille dans la nuit étoilée et je me répéte machinalement la réplique de Zazie « Napoléon, mon cul. il m’interesse pas du tout cet enflé » . Je vais continuer mon chemin. Au passage j’ adresse un sourire à la petite boîte en polystyrène ornée d’un grand « M » qui flotte sur la Seine. Grand bien nous fasse, elle retourne vers le Nouveau Monde.

Michèle LAURENCE
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A
Je reviens, j'ai écrit un billet sur le quartier des halles intitulé : "le ventre de paris" visible sur blogborygmes, (je n'ai pas réussi à insérer le lien)à bientôt !
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A
Vous êtes venue chez nous, je viens découvrir vos billets...Hilarants à souhait, apparemment décousus, mais le fil suit bien l'aiguille, et de fil en aiguille on lit le texte avec délectation.Bel exercice de style.
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L
<br /> Merci.<br /> <br /> <br />
E
Je suis encore impressionnée par ces textes qui sont si amusant...un rat cul...Je reviendrai exploré le reste et merci pour le com laissé chez grand maître Fred.A bientôt
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L
<br /> Merci ta visite et ta curiosité me font très plaisir...<br /> <br /> <br />
L
C'est Profette qui m'envoi ici. Bien, très bien, on aime ce petit rat (même s'il n'est pas en tutu!) Mais à Rungis ? cela ne va pas le faire!!!Louis
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L
<br /> Merci à toi et à Profette, j'espère que tu reviendras. Amitiés<br /> <br /> <br />
C
J'ai souri en lisant les réflexions du rat cherchant à ménager ses arrières.<br /> Je découvre ce site, j'en continue l'exploration...<br /> A bientôt...
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L
<br /> Merci d'aller fouiller dans mes textes...Il est vrai que j'ai une certaine sympathie pour ce personnage bien antérieur à Ratatouille!<br /> <br /> <br />