BYE M'SIEUR MOATTI...
Il y a un an environ, au mois de juin 2009, je publiai une petite note ici même pour annoncer la signature du "JEUNE HOMME A LA CANNE" ma pièce qui venait d'être éditée, signature que j'avais choisi de faire dans la petite librairie/papéterie/journaux de la PLACE DES ABBESSES tenue par un personnage hors norme, bloqué dans son fauteuil roulant derrière son comptoir foutoir, un homme a l'oeil malin et l'humour ravageur: M'SIEUR MOATTI. Avant-hier, j'étais passée dans sa boutique pour acheter des cartouches d'encre pour un stylo auquel je tiens, comme à la prunelle de mes yeux, un stylo acheté chez lui, il y a plusieurs années, stylo en métal brossé au poids délicieusement équilibré, à la pointe fine et fluide, un stylo "UNIC" qui mérite bien son nom et qui me suit partout semant loin derrière, Mont-Blanc, Waterman et autre Parker. MON "INDISPENSABLE" dont je ne peux trouver les recharges QUE chez M'SIEUR MOATTI...Il y a deux jours, en fin d'après-midi je l'ai vu grogner et sourire en faisant pivoter son fauteuil pour plonger dans ses tiroirs capharnaüm où lui seul, sait dégotter au bout d'un temps suffisamment long, durant lequel les clients attendent patiemment leur journal à la main, LES CARTOUCHES MAGIQUES. Pendant le temps de rechercher, il me lance son habituel "Alors, comment ça va bien, vous ?"On entame une petite discussion que je ponctue de "Monsieur Moatti, je crois que le monsieur (ou la dame) attend", tandis qu'il continue à chercher avec persévérance. Comme d'habitude, il a fini par trouver tandis que je lui disais: "Vous savez que je rentre d'Algérie..." " Ah ? Alors, racontez, c'était comment ?" Je vous raconterai, la prochaine fois, à un moment plus calme..." Ce matin, par un beau soleil, pas encore trop chaud, sur la place des Abbesses presque déserte, j'ai eu envie de rentrer dans une boutique pour jeter un oeil sur les premières soldes avant d'aller acheter le "canard" chez M'sieur Moatti, la patronne du magasin affichait un sourire de façade, mais semblait boulversée, tandis que je jettais un oeil distrait sur les fringues que je n'achèterai pas, je l'ai entendu dire à une cliente : "Oh, aujourd'hui je ne vais pas très bien, j'ai du mal à me remettre de la mort de mon voisin" J'ai tourné la tête machinalement juste au moment où elle disait "le libraire"... J'ai sursauté, "Quel libraire ?" " Ben, le monsieur en fauteuil roulant, il est mort hier soir sur le trottoir, là, sous nos yeux...Une crise cardiaque...les pompiers ont tout fait pour le ranimer...ils ont essayé pendant au moins trois quart d'heure..." J'ai senti un gros noeud se former dans ma gorge. J'ai traversé la rue pour voir le papier scotché sur la vitrine: "FERMETURE EXCEPTIONNELLE" et quelques bouquets de fleurs déposés contre la porte. La boutique de Monsieur Moatti ne fermait que le 1er janvier et le 1er mai. M'sieur MOATTI fait partie de l'histoire des Abbesses. D'abord j'avais été frappé par son air bourru et son verbe sans concession, je l'appelais "L'homme au fauteuil roulant" et puis ensuite "Le Libraire" et puis j'ai appris son nom et à mieux le connaître, j'ai su qu'il était né à Médéa en Algérie, que c'est là qu'il avait attrapé le ténia du mouton qui allait peu à peu lui enlever l'usage de ses jambes. L'an dernier , quand je lui ai demandé de faire une signature chez lui, nous avons pris le temps de prendre un verre au bistrot voisin, de bavarder, il parlait avec fierté et cynisme de sa maladie "orpheline" dont il était un des seuls exemples pour la science ! Il était installé là depuis plus de trente cinq ans, il avait vu passer des générations de "poulbots", puis de "bobos", d'artistes célèbres ou en devenir. Pierre ETAIX ou Olivia RUIZ croisaient dans sa boutique les touristes en quête d'une carte postale de la fameuse Station de Métro de Guimard... "Une belle mort" m'a dit la pharmacienne...La mort est-elle "BELLE" ? Avant-hier je citais "C'est toujours les autres qui meurent" de Marcel Duchamp, hier c'est M'SIEUR MOATTI qui partait et aujourd'hui, je pleure sur la disparition de celui qui fera que pour moi La place des ABBESSES ne sera plus jamais tout à fait la même.