L'IVRE(S) DE MER...(3)

Publié le par Laurence

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Pour poursuivre le "dialogue" avec l'oeuvre de Léïla MAROUANE j'ai le bonheur infini de vous offrir UN CADEAU EXCEPTIONNEL: Les réponses qu'elle m'accorde aux questions que je lui ai posées .Avec son autorisation je vous en offre donc l'intégralité. Si certains d'entre vous n'ont pas encore lu le livre auquel il est fait référence "LA JEUNE FILLE ET LA MÈRE", je les incite  à le lire, il fait partie de ces livres dont on ne sort pas indemne.


Quelle est la place de ce livre dans ton œuvre ?

- La jeune fille et la mère émane de la même veine que les romans qui le précèdent et ceux qui le suivent. Il se place tout naturellement dans mon univers romanesque. Je fais partie de cette catégorie d’auteurs qui creusent le même sillon, montent le même édifice, qui parlent de ce qu’ils savent, qui explorent ce qu’ils possèdent et qui les obsèdent, soit douloureusement soit joyeusement, selon leur vécu. Tout récemment, un lecteur américain et ami facebookien, Dan, qui se reconnaîtra facilement, m’écrivait ceci : “The thing I admire (…). You write about what you know, the first rule in creative writing.” (C’est un copier/coller de son message)

En effet je relate ce que je « sais », je pose dans mes livres les questions qui me taraudent et auxquelles j’essaie de trouver des réponses. Si bien qu’écrire, à un moment donné de mon parcours, m’est devenu vital. L’écriture ou la mort. L’écriture ou la folie. Entend-on souvent dire. Ainsi de moi depuis que j’ai commencé à comprendre l’acte d’écrire, avant même que l’acte de publier ne s’impose, c’est-à-dire dès la puberté. J’arrêterai probablement d’écrire lorsque les réponses jailliront. Si tant est que l’envie d’obtenir les réponses me prenne. Ce que j’en doute. Car trouver les réponses signifierait qu’on s’arrête d’écrire. Et à la seule idée d’y renoncer, car il m’arrive d’y penser, me plonge dans une vraie déprime.

- As-tu eu envie d'écrire un livre "autobiographique" ?

- Je ne crois pas. Mais comme dans tous mes romans, avec le recul, je me retrouve toujours dans chacun de mes personnages, autant dans les principaux que les secondaires, les féminins que les masculins. Peut-être est-ce là une façon de brouiller les pistes ? D’éviter une mise à nu totale ? Je ne sais… A la longue, et on le voit dans les plus récents, je m’introduis dans le texte avec mon vrai nom, ma vraie image, et de l’autodérision, sans qu’il se produise rien d’intéressant autour de mon vrai-faux personnage. Je ne fais que passer, telle une ombre chinoise, un peu comme Hitchcock dans ses films. Cependant je considère "LA JEUNE FILLE ET LA MÈRE" comme un roman partiellement biographique, en ce sens où, et à quelques détails près imposés par les règles de la fiction, la vie de la mère est « vraie ». J’y relate ses nombreux combats. D’abord celui pour l’indépendance de son pays qui, croyait-elle, la mènerait vers sa propre souveraineté. D’où sa double fuite vers le maquis, échappant à la fois à l’armée française et à son père qui avait organisé son mariage avec le premier venu. Je ne vais pas m’étendre sur les raisons qui sont de toute façon bien relatées dans le livre. Ensuite, une fois l’indépendance de l’Algérie acquise, son combat pour l’émancipation de ses filles. Ce sont les passages qui donneraient « chaud » au cœur si la construction du livre avait été linéaire… Tous ces combats, disais-je, pour qu’au final elle se trouve inondée jusqu’aux cils de désillusions, pour qu’elle voit ses rêves fichues, brisés par un système postcolonial corrompu. Une trahison qui a conduit cette femme jusqu’à la folie, puis à la mort…

- Peux-tu me dire quelle est pour toi la part d'autofiction dans "La Jeune fille et la mère "?

- Je ne sais pas si on peut parler ici d’autofiction. Je suis comme dans tous mes livres et comme je l’écris plus haut « installée » de façon très subreptice dans plusieurs de mes personnages. Je suis par exemple dans celui de la fille du juge, celle qui prête des livres à la narratrice. Mais les événements de cet été que je raconte sont bien réels que j’ai vécus dans ma chair. Même si le portrait de la narratrice est à l’opposé du mien. Elle a un retard scolaire, n’aime pas l’école… Au contraire d’elle, j’étais submergée de prix, j’aimais l’école, mes profs admirait mon travail, une est allée jusqu’à me trouver un éditeur, une autre consacrait une heure de ses cours pour la lecture de mes contes et poèmes. Certaines de mes camarades que je retrouve au détour d’une rue parisienne se souviennent de ces instants et toujours me les rappellent… Bref, antagoniser de la sorte me procure une sorte de jouissance que je ne saurai plus désapprendre. Je suis un mensonge qui dit la vérité, dixit Cocteau. C’est tout à fait ça. Pour revenir à l’autofiction, ou à l’absence d’autofiction dans le livre, beaucoup d’autres éléments sont « faux » ou « fabriqués », « arrangés ». Le délit commis par la jeune fille, par exemple, est tout à fait faux. Je n’ai jamais été surprise avec un garçon dans la situation que tu as lu dans le livre, ni dans aucune autre situtation « scandaleuse ». Mon tort a été d’entretenir une correspondance avec une sorte d’amoureux. Nous nous écrivions des poèmes, et des bêtises comme ça. Nous échangions nos lettres à travers le portail grillagé du jardin de mes parents. C’était tout. Pour mon anniversaire, il m’avait offert « Du côté de chez Swann ». C’était mon premier Proust. J’avais caché le livre dans la cave, j’avais peur que mes parents se doutent de quelque chose en voyant ce livre flambant neuf dans la bibliothèque, d’autant que mon père n’était pas féru de Proust. La narratrice aurait dû vivre ce premier béguin à travers une relation complètement épistolaire. J’en ai fait autrement, pour l’incrédibilité de l’histoire. Car mon Dieu qui pourrait faire subir à sa fille ce que j’ai subi pour une aussi banale et naïve histoire ?

Il se trouve qu’au printemps de cette année, le jeune homme en question, (il avait 20 ans au moment des faits) aujourd’hui au bord de la retraite, m’a retrouvée par Facebook. Dans son premier message il se rappelait à moi en évoquant ce fameux été, me demandant si je me souvenais de mon premier béguin. J’ai accepté son invitation sans me douter que sa présence même virtuelle allait me peser. Car au fil des jours, tout ressurgissait, la douleur, l’humiliation… J’ai commencé par ne plus répondre à ses messages, somme toute honnêtes et bienveillants, et j’ai fini par le sortir de ma liste.

...(A SUIVRE) Pour le plaisir de savourer cette conversation "privée" et vous laissez souffler, si vous ressentez le besoin de "commenter", n'y manquez pas, je suis sûre que Léïla viendra vous lire.


 

Publié dans Spéciales Dernières

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L
<br /> <br /> bonsoir Laurence.... je ne connais pas cette écrivain.... mais je suis curieuse...et puis elle parle de l'Algérie, de l'indépendance, de l'émancipation des femmes, de sa vie... alors cela<br /> m'intrigue, j'ai envie de la lire...<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Creuser obsessionnellement le même sillon, oui dans toute création il y a un acharnement à creuser le sillon mais aussi à en sortir, une sorte d'opération alchimique en quelque sorte. En peinture<br /> pendant 35 ans j'ai procédé par "séries", par "veines". Dès que je sentais que la série érait "épuisée"..et moi aussi..je laissai macérer et une nouvelle veine apparaissait, un autre support,<br /> d'autres couleurs...et rebelote..Je savais que quelquechose était débloqué en moi et qu'une autre sorte de conflit apparaissait qu'il me faudrait résoudre, picturalement d'abord et<br /> intérieurement, parallèlement. Merci à vous deux, Leila et Michèle. Vous êtes deux soeurs<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Oui, elle m'a dit qu'elle voyait un peu un miroir en moi, les miroires réfléchissent une image inversée, il y a de ça, semblables et diffiérentes...<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Se confronter au passé,quel bonheur si c'est pour revivre des moments agréables! Mais si c'est la douleur qui s'impose,tournons vite cette page...Par contre l'Autre,dans l'histoire,il n'a<br /> sûrement rien compris,c'est peut-être dommage...Une désillusion de plus?    Chantal.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je sais que tu vas lire le livre et je pense que cet entretien que tu pourras lire à nouveau avec un point de vue enrichi, t'éclairera tout à fait. Plein de bisous<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Il se trouve qu'au printemps de cette année... ETC, avez vous écrit.<br /> <br /> <br /> Retrouver ses amours d'antan... Avec les (nombreuses) années qui nous ont ridés, avachis, dégarnis, arrondis, ces années qui ont fait ressembler nos mains à des cartes routières... AH NON !<br /> <br /> <br /> Je préfère chères grands mères d'aujourd'hui, conserver l'image de votre magnifique jeunesse, et par là même, ne pas vous offrir ce visage que vous ne reconnaîtriez pas.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Tu sais Leïla n'a rien d'une "grand mère"...C'est une jeune femme pétante d'énergie et sans nostalgie...Lis la suite. Bisous cher talentueux "Andiamo"<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Merci pour ce cadeau.<br /> <br /> <br /> Personnellement, je ne connaissais pas Leïla Marouane et tu me donnes envie d'approfondir !<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Lis la suite et surtout le livre, je pense que tu ne le regretteras pas; Bisous, Yves.<br /> <br /> <br /> <br />