MEMENTO MORI
MEMENTO MORI
ELLE est nue devant son miroir, ses cheveux défaits flottent sur ses épaules. Elle est resplendissante. Elle se contemple. LUI l’observe.
ELLE : Comment me trouves-tu ?
LUI : Pourquoi poses-tu la question, puisque tu connais la réponse.
ELLE : Je veux l’entendre de ta bouche.
LUI : Belle.
ELLE : Mais encore ?
LUI : Insatiable.
ELLE : Mais encore ?
LUI : Belle. Ce n’est pas suffisant ?
ELLE : Non.
LUI : Ta peau est ferme comme le marbre, douce comme la soie, elle a les reflets de la nacre au soleil levant.
ELLE : Mes épaules ?
LUI : Rondes, solides, charpentées comme celles des statues de Maillol
ELLE : Mes bras ?
LUI : Pleins, vigoureux, appétissants. Ils sentent bon le lait d’amande douce et la lavande.
ELLE : Mes seins ?
LUI : Deux fruits charnus accrochés haut sur un buste arrogant
ELLE : Ma taille, mes hanches, mes fesses, mon sexe ?
LUI : Ta taille a la finesse du goulot de l’amphore, tes hanches et tes fesses, l’amplitude généreuse de ses flancs, ton sexe est bombé comme l’abricot gorgé de miel.
Satisfaite, ELLE s’étire en virevoltant devant le miroir
ELLE : Tu n’as rien dit de mes yeux, de mes cheveux, de ma bouche, de mon cou…
LUI : Connais-tu l’histoire de cette princesse Ottomane que l’on disait si belle qu’aucun miroir ne semblait digne de lui renvoyer une image fidèle ? Un jour, son père pour satisfaire son désir, lui rapporta de voyage un miroir si parfait qu’elle ne se lassa pas de s’y regarder jusqu’à en perdre la vue. Ainsi, aveugle et sans amour, elle erra dans son palais jusqu’à la fin de ses jours. Tu devrais méditer cette moralité.
ELLE : Je n’ai rien entendu.
LUI : J’ai dit « aveugle » pas « sourde »
ELLE : J’ai des yeux pour me mirer, des oreilles pour entendre les compliments, un nez pour respirer mon parfum, une langue pour me pourlécher, des mains pour me caresser. Tous mes sens sont en éveil pour décupler mes plaisirs, pas pour méditer tes sornettes.
LUI : Et quel est mon rôle dans ta comédie ?
ELLE : Spectateur…
LUI : Très bien, dans ce cas, je pense que ton miroir jouera parfaitement les doublures…
ELLE : Attends, tu ne m’as pas laissé finir : spectateur actif, interactif, participatif.
LUI : Non, décidément, cette partition ne me plaît pas Je préfère me retirer.
ELLE : Tu manques tragiquement d’humour cher amour ! Tu manques même parfois d’amour, sans humour, tu manques d’appétit, de gourmandise, de curiosité, de chair ! J’aimerais tant te voir sourire, rire, jouir, dévorer la vie à belles dents ! Carpe diem cher Horace ! Carpe diem !
LUI : Couvres-toi, tu vas attraper la mort
ELLE : Imagine la merveille ! Imagine que la mort me prenne là, tout de suite, par surprise, au zénith de ma beauté. Tu me ferais embaumer n’est-ce pas ? Tu m’exposerais nue dans un cercueil de verre, sur lequel tu viendrais t’allonger chaque jour comme les femmes le font sur le gisant de Victor Noir au PERE LACHAISE, pour fertiliser tes fantasmes….Ferme cette porte, j’ai froid !
LUI : Je croyais que tu voulais mourir au zénith de ta beauté.
ELLE : Je n’ai pas encore atteint le zénith. Passe-moi un châle ! Non, pas celui-ci, l’autre, en cashmere et soie assorti à la couleur de mes yeux.
LUI l’enveloppe dans le grand châle qui couvre sa nudité. Elle se niche dans ses plis amples sans oublier de vérifier l’effet produit dans le miroir.
LUI : Si tu continues à regarder ce miroir de tes yeux de braise, tu en feras fondre le tain.
ELLE : Mon teint ?
LUI : Non, SON tain
ELLE : Je préfèrerais le faire pâlir d’envie. Où vas-tu ?
LUI : Habiter ton miroir, le dialogue sera plus simple : « quam minimum credula postero »
ELLE :Je ne comprends pas le latin.
LUI : « Sois le moins confiant possible en l’avenir » dit aussi Horace
ELLE : Non, ne me laisse pas !
LUI disparaît, il traverse le mur derrière le miroir, comme dans les films de Cocteau
ELLE : Arrête de jouer... ! Horace… ! Reviens… ! Horace, où es-tu… ? Je t’en prie …Horace ! Tu veux me punir ? …De quels pêchers ? Sur les sept capitaux, je ne reconnais que la gourmandise, l’orgueil…peut-être, la luxure…quelques fois, la paresse ? J’en conviens. Mais je réfute l’envie, la colère et l’avarice. Oui, je sais , tu ajouteras : l’égoïsme, l’égotisme, même, la futilité, la fatuité parfois, mais à part ça ? Rien qui ne mérite une punition. Après tout, je n’y peux rien si ce miroir m’attire comme un amant, pardon, comme un aimant !
Elle recule, retenant un hoquet de frayeur, en voyant dans le miroir non plus son reflet, mais une superbe tête de mort éclairée d’une bougie près d’un sablier. Après un court silence pétrifié, elle jette une bordée d’injures
ELLE : Conard ! Taré ! Butor ! Jean Foutre ! charogne ! ectoplasme ! empaffé ! Fumier ! décérébré ! Olibrius ! Pauvre cloche !
LA TÊTE DE MORT : C’est tout ?
ELLE recule encore d’un pas
ELLE : …J’ai failli me faire prendre
LA TÊTE DE MORT « Prendre » ? , par qui ? par moi ? Voyons, ce n’est pas l’heure. (rire)
Regarde le sablier.
ELLE : De tous tes tours de magie ringards, Horace, celui-ci est non seulement le plus foireux mais aussi le plus obscène !
LA TÊTE DE MORT : Je ne m’appelle pas Horace.
ELLE : …Pardon ?
LA TÊTE DE MORT : Je ne m’appelle pas Horace.
ELLE : …Mais…
LA TÊTE DE MORT : Tu ne reconnais pas ma voix ?
ELLE :.. Non.
LA TÊTE DE MORT : Réfléchis un peu – te dit le miroir ! –
ELLE : Très drôle, je reconnais bien là ton humour à deux balles.
LA TÊTE DE MORT : J’aime qu’on apprécie mes qualités à leur juste valeur ! Donc, tu ne reconnais pas ma voix ?...Allons, fais un effort !
ELLE : C’est une voix de…femme…vieille.
LA TÊTE DE MORT : Tu brûles ! (petit rire sardonique)
ELLE : Ça suffit! Tu me lasses ! J’en ai marre de tes devinettes à la gomme. Je ne connais pas cette voix et je m’en fous ! Ce n’est pas la mienne ! Ce ne sera jamais la mienne ! , tu ne m’impressionnes pas, tu m’entends ! Tu n’es qu’un illusionniste débile pour cabarets de seconde zone…
LA TÊTE DE MORT : Tiens! Tout à l’heure, je croyais que tu avais éliminé « la colère » de tes pêchers capitaux .
ELLE : (hurlant) Je ne suis pas en colère ! Et toi, tu n’es pas invulnérable, même caché derrière tes orbites creuses et ton sourire édenté. Tu n’auras pas le dernier mot !
LA TÊTE DE MORT: « Cueille dès aujourd’hui les roses de la vie » dit le poète . Regarde le sablier, ma belle, tu perds un temps précieux
ELLE : (en rage) Un autre poète a dit : « J’ai 26 ans mon vieux Corneille et je t’emmerde en attendant » Tu entends ? « J’ai 26 ans mon vieil Horace et je t’emmerde en attendant !)
Elle se saisit d’un fer à feu dans la cheminée et brise le miroir
Horace entre derrière elle , il la prend dans ses bras. Elle frémit d’abord puis s’abandonne.
LUI : Vanité des vanités…tout n’est que vanité ?